En fin de semaine dernière s’est déroulé un forum sur l’éducation au Québec, organisé par le Parti libéral et au cours duquel on s’est targué d’être parmi les meilleurs au monde.
Comment expliquer alors le refus d’inviter à ce forum les vrais responsables du succès de l’éducation publique québécoise, vue comme un exemple dans le monde? En effet, les organisateurs ont bien pris la peine de préciser qu’ils ne voulaient pas être influencés dans leur réflexion par les enseignants, les syndicats, les commissaires et les autres professionnels de l’enseignement. À la place, le forum a invité plusieurs Français, un Africain, un Américain, un Ontarien unilingue anglais, des entrepreneurs, des informaticiens, un musicien, etc. Il n’est pas question ici de mettre en doute les qualités indéniables des invités, mais normalement, quand on veut discuter l’état du métier de plombier au Québec, on s’attend de trouver aux tables de discussion des plombiers québécois et des spécialistes québécois de métiers connexes à la plomberie. Comment les organisateurs d’un forum sur l’éducation au Québec peuvent-il discuter d’enseignement en refusant de parler aux enseignants, de gouvernance scolaire sans parler aux commissaires?
Dans son allocution de clôture, le Premier ministre a précisé qu’il aimait participer à ces forums parce qu’il y puisait des idées et qu’il était à l’écoute des citoyens. Pourtant, les décisions annoncées avant le forum sont restées inchangées après le forum. Et ce, malgré un important plaidoyer en faveur de la démocratie scolaire par nul autre que le père du Ministère de l’Éducation, son fondateur, monsieur Paul Gérin-Lajoie, qui a clairement expliqué, lors de ce forum, l’importance des élections scolaires pour assurer une bonne gouvernance. Ce plaidoyer a été appuyé d’une ovation debout par l’ensemble des participants. De nombreux intervenants (et pas seulement des commissaires) ont insisté pour que soient maintenues les élections scolaires. Bien qu’il se dise à l’écoute, monsieur Couillard a ignoré totalement les recommandations des participants.
Pour justifier sa décision, le Premier ministre a rappelé le faible taux de participation aux dernières élections scolaires. Il n’a pas mentionné cependant que le ministre de l’Éducation d’alors avait annoncé le matin même des élections que «de toute façon, les commissions scolaires allaient disparaître!» Monsieur Couillard a aussi ramené les mêmes arguments qu’avant le forum comme les «grands absents de la gouvernance scolaire (sic): les parents, les enseignants, les directeurs d’école et les membres de la communauté.» Il semble que le Premier ministre soit mal informé: la grande majorité des commissaires (plus de 82%) sont eux-mêmes des parents impliqués et tous sont membres de la communauté. Ces commissaires ont tous été élus par la communauté pour les représenter. De plus, l’une des tâches principales des commissaires est de rencontrer les membres de la communauté, de les écouter et de porter la voix de ces derniers aux autres membres de la commission scolaire et à tous les décideurs, y compris le Ministre de l’Éducation. Quant aux directeurs et enseignants, la Loi sur l’instruction publique prévoit déjà un mécanisme de consultation permanente auprès des intervenants en milieu scolaire, les équipes-écoles, les conseils d’établissement, les comités de parents, etc. De plus, des discussions ont lieu en tout temps avec les directions avant que les décisions soient prises. Par ailleurs, une place de plus en plus importante est accordée aux parents dans le processus démocratique. La moitié des membres des conseils d’établissement sont des parents et leur président doit obligatoirement être un parent. Les comités de parents, formés de représentants de chacune des écoles de la commission scolaire, ont un pouvoir d’influence indéniable, sans compter les commissaires-parents, nommés par les comités de parents, qui ont les mêmes droits et privilèges que les commissaires, sauf le droit de vote.
Parmi les autres arguments du Premier ministre contre la démocratie scolaire: l’imputabilité! Il est important de préciser cependant que les décideurs ne sont imputables qu’aux personnes qui les ont nommés. Le type de gouvernance annoncé offrira donc une imputabilité variable: certains commissaires seront nommés par des parents et rendront des comptes à ceux-ci uniquement. D’autres commissaires, nommés par les directeurs d’école ne se sentiront responsables qu’envers ces derniers. Il en ira de même pour chacun des commissaires, tandis qu’avec le suffrage universel, comme c’est le cas actuellement, les commissaires sont imputables de leurs décisions envers l’ensemble des citoyens, quelle que soit leur position; qu’ils aient exercé ou non leur droit de vote.
De plus, monsieur Couillard a donné un exemple de bonne gouvernance qui n’était pas respectée: la répartition équitable des ressources qui devrait être discutée avec les directeurs d’école. Encore une fois, le Premier ministre n’a pas été bien informé. Il existe des commissions scolaires, comme la C.S. des Portages-de-l’Outaouais, qui répartissent les ressources exactement comme le souhaite monsieur Couillard, en discutant avec les directions d’école. Pourquoi congédier tous les commissaires du Québec sous prétexte que certains d’entre eux ont établi des priorités différentes? D’ailleurs, dans le même discours, monsieur Couillard a bien précisé que des moyens imposés mur à mur ne garantissent pas toujours les résultats souhaités et qu’il est préférable que les décisions soient prises localement.
Enfin, monsieur Couillard a mentionné le cas des petites écoles qui n’auront pas les moyens de prendre en charge les nouvelles responsabilités qui leur incomberont dorénavant. Une solution a été proposée: créer des réseaux pour ces écoles! Mais n’est-ce pas justement la définition même des commissions scolaires? En somme, la nouvelle gouvernance affaiblira les commissions scolaires afin de créer des réseaux plus petits et plus nombreux, qui joueront le rôle des commissions scolaires actuelles.
Il est évident, avec les arguments présentés par le Premier ministre, que le forum n’a été que de la poudre aux yeux servant à imposer des décisions prises depuis longtemps, en haut lieu. On veut ramener les décisions le plus près de la base, mais même lors d’un forum sur l’éducation, c’est le Premier ministre lui-même qui intervient, et non le ministre de l’Éducation, des Loisirs et du Sport, qui était pourtant dans la salle. Le Parti libéral, avec sa tradition démocratique et sa place importante dans l’histoire du Québec, se trahit lui-même en abolissant la démocratie scolaire.
Mario Crevier et Marcel Pépin
Commissaires à la Commission scolaire des Portages-de-l’Outaouais
et participants au Forum des idées 2015